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En
1997 je travaillais à la réalisation de la galerie digitale
du musée des Beaux Arts de Berlin (SMBPK). Pendant une année,
avec les employés de l'agence MIB GmbH nous avons analysé
dix tableaux flamands du XIV - XV siècle. L'étude de ces oeuvres
été proposées aux visiteurs dans le musée même
où des ordinateurs été installés.
Pendant toute cette année, j'ai analysé le triptique de Saint
Jean Baptiste de Rogier van der Weyden, les détailles du tableau,
ses représentations symboliques et comparé le triptique avec
deux autres triptyques du même auteur: Le triptique du Miraflores
et le triptique de Bladelin tous deux au musée des beaux arts de
Berlin. En observant ces trois triptiques,
j'ai trouvé des similitudes dans diférentes scenes et je me
suis mis alors à jouer aux jeu des questions-réponses:
Que
vois-je?
Dans chaque triptique je vois trois scènes (évidemment ce
sont des triptiques) bibliques.
Mais encore - Que representent ces scènes?
A chaque fois il y a une naissance, une mort ou encore des gens qui s'agenouillent
devant un Saint ou Sainte.
D'accord, mais ensuite. Que font-ils et dans quel lieu le font-ils?
Les naissances se font dans un lieu clos. (Ah tiens!) La mort et les contacts
entre humains et êtres divins se retrouvent dans un lieu clos mais
avec une ouverture telle qu'une fenêtre ou une porte. Les fins des
scènes sont toujours dans un lieu ouvert. (Alors la, voila quelque
chose qui m'interpelle.)
Comment puis-je nommer une image un " lieu clos", un "
lieu entre-ouvert " et "lieu ouvert"?
Ce ne sont que des images en deux dimensions, alors pourquoi ce raffut?
Je me permets en tant qu'observateur de dire "lieu fermé"
ou "lieu ouvert" parce que mon oeil voit un mur (couleur gris-vert)
, un mur avec une fenêtre ou une porte à travers lesquelles
je vois un jardin ou du ciel bleu et mon oeil voit le lieu ouvert sur
la nature, un paysage, un horizon. Mon oeil voit ces couleurs. Mon cerveau
interprète ces couleurs comme étant un support de message.
Sombre pour mur, bleu pour ciel, vert pour jardin etc....
Bon et alors....ou veux tu en venir avec tout ça?
Ce n'est pas un hasard si Rogier van der Weyden s'est mis à peindre
ces actions dans un lieu bien précis. Si les scènes sont
d'origines bibliques (donc d'une culture écrite et non vécue)
pour les contemporains de Rogier van der Weyden, les lieux, eux sont bien
réels. Les gens peuvent s'y retrouver facilement et donc faire
plus facilement un rapprochement entre la scène biblique et la
vie de tous les jours. Une naissance se fait à la maison, dans
un lit, comme tout le monde. Si ça s'est vrai, alors le reste aussi.
Le baptême du Christ, la crucifixion, la résurrection etc...
Bon d'accord, mais pourquoi ces différents lieux? Rogier van der
Weyden aurait trés bien pu peindre, comme tout le monde, une résurrection
dans le cimetière, une crucifixion sur le golgotha, une naissance
dans la crèche, bref où veut il en venir avec ces lieux
fermés, semi-fermés et ouverts?
Je réponds cette fois-ci avec une question. (ah non, on ne va plus
pouvoir s'arréter là...)
Que fait l'oeil quand il voit un mur?
Que fait l'oeil quand il regarde une fenêtre ou une porte ouvèrte?
Que fait l'oeil quand il regarde un paysage, un horizon?
-
A ce niveau de réflexion, ne parlons plus de l'oeil mais du regard.-
Le
regard est limité dans un lieu fermé. Le mur nous aveugle.
Le regard est dirigé dans un lieu fermé avec une ouverture.
Le regard est libre dans un paysage.
Tiens tiens...Ces notions de liberté, d'emprisonnement...ça
devient de plus en plus évident. Arrétons le questionnement,
mais supposons.
Et si la naissance dans un lieu fermé voulait dire quelques chose
et si la recontre entre humain et personnages divins devait représenter
quelque chose, et si de scènes qui se terminent dans un paysage,
voulaient dire quelque chose.
Mais oui! il a un début et une fin. De la naissance à la
révélation (et non la mort), de la pièce fermée
au paysage sans limite, il y a un sens. La naissance n'est pas une limitation
non ce serait trop méchant pour les nouveaux nés et la mort
n'est pas une libération sinon youkaidi-youkaida tout le monde
se suiciderait. Non la symbolique se cache non pas dans le tableau mais
dans la relation observateur - tableau.
Moi observateur je vois un mur, mon regard est limité je suis comme
un nouveau né, un peu perdu et dépendant de mon corps qui
lui est limite et imparfait. Mais heureusement qu'un espoir se dessine
et une ouverture se fait. Quelque chose ou quelqu'un fait une ouverture
et me laisse percevoir l'horizon. Je suis libre de sortir ou de rester
entre mes quatre murs. Quand je sors, alors mon regard est illimité,
libre de regarder oú il veut.
Ce matin en mettant mes lunettes, je me rappelais un conseil de mon ophtalmo.
Il faut que je repose mes yeux en regardant toutes les trois heures vers
l'horizon ou le ciel (ça dépend bien sûr de votre
lieu d'habitation). Et oui, l'horizon repose le muscle de l'oeil. En sortant
pour voir plus largement, le regard peut enfin se reposer
Mais oú est la symbolique dans tout ça?
Mais enfin c'est évident. Qu'est ce que voir? Voir c'est être
témoin de quelque chose. Tout comme les personnages des trois triptiques,
l'observateur est témoin de la venue du Christ. L'observateur témoigne
ainsi dans le fait qu'il voit.
Si mon regard est limité, il est humain.
Si mon regard est illimité, il est alors divin.
Ce lieu fermé c'est mon corps.
Ces fenêtres et portes qui donnent sur l'extèrieur, c'est
mon âme. Je suis libre de m'ouvrir à Dieu.
Autre
détail amusant. La perspective chez Rogier van der Weyden...ben
y en a pas. En effet Rogier fait un pied de nez à la perspective
italienne. Faites un essai pour voir. Chercher les points de fuite, vous
allez bien rigoler. Rogier van der Weyden ne cherche pas la perfection
dans ses tableaux, bien que l'hyperréalisme de ses personnages
fait penser le contraire. Ceci prouve la recherche du peintre au delà
de l'image qui pour lui n'est qu'un support vers autre chose, qui lui
est parfait, j'ai nommé "Dieu". De même que si
Rogier van der Weyden choisi de peindre des lieux en "fausse"
perspective, il y a la une comparaison avec notre monde qui nous deconcerte.
Ce que nous voyons dans la vie de tous les jours peut nous tromper. Il
faut regarder au dela de la réalitée.
Ce manquement à la perspective fait aussi un peu penser aux icones
orthodoxes.
Pour finir, je veux conforter ma théorie avec deux tableaux de
Rogier van der Weyden représentant la
crucifixion du Christ
Que voit-on? Une crucifixion devant un mur recouvert d'une couverture
rouge. Les personnages en larme sont vétus de blanc comme le linceul
qui recouvre les morts.
Alors là il n'y a pas de doute. Rogier casse avec toutes les régles
iconographiques. Il casse avec la symbolique des couleurs. Il casse le
regard de l'observateur. Et si mon regard est bloqué, si je ne
vois pas l'horizon alors je n'ai pas d'autre choix que d'être limité
à moi même...humain, rien d'autre.
"Elôï, Elôï, lema sabachthani?"
"Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?"
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